Odyssée au cœur de la Russie

Astrakhan. Le nom claque comme un déclic. Caviar, fourrure. Puis il intrigue: encore l'Europe ou déjà l'Asie? Peut-être même décidera-t-il du choix de cette croisière de deux semaines jusqu'à Moscou, dix jours sur la Volga, puis trois sur la Moskova. Un itinéraire de 1 500 km à vol d'oiseau mais multiplié par deux sur l'eau. Car la «petite mère», ainsi que la Russie nomme tendrement la Volga, son fleuve-tsar, allonge le parcours, le retarde, le câline dans ses méandres voluptueux.

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Le bateau, lui, ne flâne pas. A 25 km/heure, il se hâte avec lenteur. Son temps est compté. C'est qu'il doit aussi, sur ces 3 100 km d'Astrakhan à Moscou, passer des écluses et faire halte dans les cités de Volgograd, Saratov, Samara, Oulianovsk, Kazan, Nijni Novgorod, Kostroma et Ouglich. Ces escales furent, en 1858, celles d'Alexandre Dumas. Cette odyssée fluviale a, l'an dernier, été remise au goût du jour à l'occasion du bicentaire de la naissance de l'écrivain. De même, son Voyage en Russie a été réédité en un volumineux et luxueux ouvrage (1).

Dans ce prolixe récit, plusieurs chapitres relatent la croisière. A bord, aujourd'hui, les programmes quotidiens en distillent des extraits relatifs à l'escale du jour. Mais La piste Dumas s'efface vite devant une curiosité plus actuelle. Dans la moitié sud du parcours, l'excitation gagne carrément à l'idée de pénétrer une Russie presque oubliée de l'Occident depuis la Révolution d'octobre. A Astrakhan, aujourd'hui, les touristes sont des pionniers.

La croisière surprend par son aspect citadin. Les escales sont toutes programmées dans des grandes villes, de 500 000 à plus d'un million d'habitants. Cités portuaires, on y plonge immédiatement en plein cœur. Avant d'en repartir sans la moindre idée de ses faubourgs ou de ses banlieues. Et les rives de la Volga ne laissent rien deviner des campagnes, des steppes et des forêts russes...

Le bateau vogue de ville en ville comme entre parenthèses. Les berges ocre et vert, à peine rehaussées de petites falaises, s'écartent parfois jusqu'à ne plus constituer qu'un trait sur l'horizon. A l'exception de rares péniches rouillées et de quelques barques de pêche, laissant soudain supposer la proximité d'un village, le bateau avance quasiment seul sur le fleuve tranquille vert de gris. Cette navigation engourdit. La torpeur ambiante aide à digérer les riches souvenirs de la dernière escale. On s'y laisse glisser comme dans une sieste après un bon repas.

La torpeur ambiante aide à digérer les riches souvenirs de la dernière escale
Toute la Russie défile sur la Volga: l'histoire peuplée de Kazars et de Tatars, de tsars et de Bolcheviques; la musique enjouée ou triste; les danses enlevées, les spécialités culinaires et même les lettres de l'alphabet cyrillique. Cours et conférences sont en effet programmés au quotidien, dispensés par les accompagnateurs russes dans un français châtié. Grâce à eux, à cette animation intelligente et discrète, les passagers s'initient chaque jour au pays.

Aucune ville ne correspondra pourtant à l'idée qu'on s'en faisait. Deux semaines durant, toute tentative d'imagination restera vaine. Balayée par la surprise à chaque accostage. Voilà pourquoi cette croisière est un voyage extraordinaire. Prenons par exemple Volgograd («la ville sur la Volga» depuis 1961), l'ex-Stalingrad qui avait elle-même, en 1925, succédé à l'ancienne Tsarytsyne.

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